Dark Light
Les partis politiques, ce fléau de la démocratie.

Le comportement des politiciens, toutes couleurs confondues, en France et aux Pays-Bas, pendant la campagne du référendum, et ensuite après le résultat a été et est au mieux burlesque, au pire profondément tragique.

Le casting est pitoyable, le metteur en scène ne maîtrise point sa troupe et le public exige un changement total du scénario et de ses protagonistes. Nous ne sommes malheureusement pas au théâtre : Nous jouons avec le futur de la France, et celui de l’Europe. La situation actuelle est aussi néfaste à la politique intérieure qu’au rôle international de la France.

Deux mois après le référendum, les partis politiques sont littéralement déchirés. Les réclamations de réformes sont plus fortes que jamais, alors que l’option de la VIe République est devenue plus qu’hypothétique. Pour donner une « nouvelle impulsion » à la France, il nous faudrait plus qu’un changement de gouvernement. Le traditionnel coup de balai se révèle démodé. Nous avons besoin d’un Kärcher (le modèle SC 2250 est particulièrement efficace). Quoique vu l’âge moyen des élus de l’Assemblée (56 ans, et donc 58 ans aux prochaines législatives, contre 45 ans aux Pays-Bas, ou 50 ans en Grande-Bretagne), un bon pic de canicule serait plus efficace. Alors quelle solution ?

Fossé

La presse le répète chaque jour : le nœud du problème est l’énorme décalage entre les politiciens et les citoyens. « Ils ne se sentent pas représentés par eux » dit Marcel Gauchet dans Le Monde 2 du 23 avril. On ne peut donc pas s’attendre à ce que la solution vienne des partis, ni des critiques politiques professionnels qui sont impliqués dans des structures repliées sur elles-mêmes. Obsédés par les relations entre les partis politiques actuels, et par la soif de pouvoir qui s’exprime au sein même des partis, les habitants de Matignon, du Quai d’Orsay, de Bercy, du Palais Bourbon, et de toutes ces autres adresses parisiennes huppées, ont perdu toute vue sur l’agitation extra muros.

Le citoyen ne sait pas non plus comment sortir de cette impasse politique. Il attend les élections, ou dans le cas le plus récent, le référendum, et choisit, comme dans un grand magasin, l’article en solde du moment. Dans les rares occasions où il est possible de se prononcer pour un individu à la présentation claire, comme cela fut le cas le 21 avril 2002 avec Jean-Marie Le Pen, ou de fournir une réponse simple sur un sujet complexe, comme le « non », une partie importante de la population saisit l’opportunité d’un vote ‘protestataire’.

Les bouleversements provoqués par chaque élection (« les règlements de comptes ») sont importants et ne diminueront pas, parce que le citoyen, mécontent du parti politique en lequel il croit pourtant se reconnaître, ne peut que choisir un autre parti. Il y a peu d’alternatives dans le système actuel, à cause du nombre restreint de partis. Lorsque l’électeur vote pour l’opposition, son vote peut être considéré comme perdu : l’opposition, malgré sa majorité actuelle dans les régions, est partagée de l’intérieur et impuissante à l’extérieur. Une situation peu attirante pour le citoyen, qui explique en partie l’abstention élevée.

Dissolution des partis

La solution ne pouvant venir ni des partis politiques, ni des citoyens, il devient nécessaire de plaider pour une mesure vraiment radicale : la suppression des partis politiques en France. Aucune loi n’a besoin d’être changée pour tenir compte des souhaits du citoyen. Il suffit, pour l’instant, d’une simple adaptation du Règlement de l’Assemblée Nationale. Un plus grand choix et un Parlement à mailles fines, véritable institution au service des citoyens et non plus des partis, sont bien possibles. Comment y arriver ?

  1. supprimer la discipline de parti (le représentant doit défendre sa vision librement et sans être influencé par les apparatchiks des partis) ;
  2. supprimer la tête de liste ;
  3. chaque candidat publie un programme qui lui est propre. L’élu entretient lui-même le contact avec les électeurs (au niveau national, grâce à l’Internet, donc plus besoin de circonscriptions électorales, division par définition anti-démocratique) ;
  4. les ministres et les secrétaires d’État devront présenter leur candidature et être recrutés, ou le cas échéant remplacés, par l’Assemblée Nationale, la procédure valant pour chaque ministre ou secrétaire d’état, et non pas pour un gouvernement complet ;
  5. C’est l’Assemblée nationale réunie en sessions plénières, et donc ni le Président de la République, ni un parti, ni le chef du Gouvernement qui définit la mission politique à effectuer par le Gouvernement ;
  6. le Sénat reprend sa vieille fonction, et coupe les liens avec l’Assemblée ;
  7. les partis politiques, assimilés à des lobbies privés, se tiennent à la même distance des élus que ceux-ci.

Si des milliers de candidats appartenant à tous les bords du spectre politique se manifestent, il est sûr que l’électeur aura dans un premier temps du mal à choisir quelqu’un qui lui corresponde. Les députés actuels expérimentés et connus auront alors l’avantage. Mais lorsque les nouveaux représentants se seront montrés fidèles à leur programme et à leurs électeurs, les citoyens se désintéresseront moins rapidement et se sentiront mieux représentés. Avec quarante millions d’électeurs inscrits et 577 sièges à repartir, chaque élu aura environ 70.000 partisans. Une fois tous les quatre ans (ou éventuellement plus souvent), le citoyen pourra vérifier s’il est toujours en accord avec son élu ou pas.

Le Sénat obtiendra la lourde tâche de veiller sur la qualité et légalité des travaux d’une Assemblée Nationale productive. Gouverner deviendra une activité beaucoup moins technocratique et beaucoup plus vive, où la discussion avec la base électorale guidera le représentant dans ses engagements. L’amateurisme et le populisme seront évités du fait même que les 577 parlementaires indépendants devront négocier lors de chaque vote sur des questions complexes tout en conservant assez d’enthousiaste pour persuader les électeurs.

On peut se demander si la France est actuellement une vraie Démocratie. Avec la suppression des partis elle le deviendra en tout cas un peu plus.

ReindeR RUSTEMA, Amsterdam, Chercheur en communication à l’Université d’Amsterdam
Stefan de VRIES, Paris, Journaliste

Cet article fut publié le 11 avril 2005 dans le quotidien néerlandais NRC Handelsblad. Il a été adapté à la situation française.

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