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En 1922, Floris Hazemeyer ouvre dans la ville néerlandaise de Hengelo une usine de coffrets électriques. Après la Seconde Guerre mondiale, l’entreprise, qui se développe sous le nom de Holland Signaal, devient l’une des plus connues du secteur de la défense aux Pays-Bas. En 1990, elle est reprise par le groupe français Thomson-CSF, qui est lui aussi spécialisé dans la défense et changera de nom à l’an 2000 pour s’appeler Thales.

La filiale néerlandaise de Thales, Thales Nederland, emploie 2 000 personnes. En dehors de Hengelo, elle a également des sites opérationnels à Huizen, Houten, Delft, Enschede et Eindhoven. Aux Pays-Bas, les activités opérationnelles portent entre autres sur la production d’appareils et de logiciels avancés de surveillance nocturne. Le site Internet du groupe ne précise pas que Thales a aussi un site à Schiphol [le grand aéroport d’Amsterdam]. Le World Trade Center de Schiphol abrite des sociétés de financement et des holdings.

Des conventions fiscales plus avantageuses

En 1999, la société Thales a commencé à y regrouper les bénéfices de ses contrats en Turquie, en Pologne, en Suède, au Kazakhstan, en Grèce et en Russie. En 2005, elle y a ajouté ses activités au Venezuela, au Chili et au Brésil. Et, depuis le 9 décembre 2012, Thales International Africa Holding est établie à Schiphol.

Rien n’est fabriqué à Schiphol. C’est par l’intermédiaire de ces sociétés anonymes [Besloten Vennootschap (BV)] que Thales investit dans des sociétés en dehors de l’Union européenne. Le groupe français fait usage des conventions fiscales que les Pays-Bas ont signées avec de nombreux pays. Ainsi, il est par exemple plus avantageux d’investir en Pologne par l’intermédiaire des Pays-Bas que directement depuis la France.

Thales est d’ailleurs loin d’être la seule entreprise européenne à passer par les Pays-Bas pour réaliser certaines opérations. Le groupe énergétique EDF détient par l’intermédiaire d’un holding néerlandais des participations dans deux centrales électriques polonaises. Aux termes de la convention fiscale entre la France et la Pologne, la Pologne peut prélever un impôt de 10 % sur les redevances. Mais comme les centrales polonaises relèvent de la convention entre les Pays-Bas et la Pologne, elles sont soumises à un impôt de seulement 5 %.

En février 2012, une enquête menée par notre journal a révélé que 60 % des grandes entreprises (celles dont le chiffre d’affaires est supérieur à 2 milliards d’euros) au Portugal, en Italie, en Grèce et en Espagne font transiter leurs flux internes de trésorerie par les Pays-Bas, pour diminuer leur charge fiscale. Parmi les grandes sociétés françaises qui passent par les Pays-Bas figurent bon nombre d’entreprises dans lesquelles l’Etat français possède des intérêts par le biais de ses fonds d’investissement.

Au début de l’année, l’obtention d’un passeport russe par l’acteur Gérard Depardieu qui voulait échapper à la taxation à 75 % a provoqué un tollé en France. L’annonce par Bernard Arnault, le PDG du groupe de luxe LVMH (Louis Vuitton/Moët Hennessy) et l’homme le plus riche de France, de son projet de déménager en Belgique a également fait grand bruit. Or il s’avère que les entreprises françaises dans lesquelles l’Etat français détient une participation ont elles aussi émigré aux Pays-Bas pour des raisons fiscales.

Les Pays-Bas, un ‘pays neutre’

En dehors de Thales, le groupe énergétique français GDF Suez a lui aussi, en plus de ses activités, un certain nombre de holdings financiers aux Pays-Bas. Il y a hébergé sa production de gaz dans la mer du Nord et ses intérêts pétroliers et gaziers en Afrique du Nord, en Azerbaïdjan, au Qatar et en Indonésie. L’Etat français détient près de 36 % du capital de GDF Suez. D’autres entreprises françaises dans lesquelles l’Etat français détient une participation (par exemple France Télécom) n’ont aux Pays-Bas que des holdings financiers sans salariés. France Télécom a placé aux Pays-Bas les bénéfices de ses activités en Espagne, en Suède, en Irak, en république démocratique du Congo et en Moldavie au sein d’un holding financier administré par une société fiduciaire.

Bien que l’aspect fiscal soit une motivation importante pour fonder une société anonyme aux Pays-Bas, d’autres facteurs peuvent aussi peser dans la décision. Prenons l’exemple de Renault-Nissan. Il s’agit d’une coentreprise entre le constructeur automobile français et le constructeur automobile japonais. L’établissement de cette importante coentreprise en France aurait été mal accepté au Japon. Et inversement. Un « pays neutre » a donc été choisi. Ce sont ces dernières raisons qui ont amené les multinationales à créer des coentreprises aux Pays-Bas ces dernières années, nous ont déclaré plusieurs fiscalistes. C’est aussi ce qui explique l’implantation à Leyde du grand groupe du secteur de la défense et de l’aéronautique EADS, connu notamment pour ses avions Airbus. L’entreprise est née à l’an 2000 de la fusion d’entreprises françaises, allemandes et espagnoles.

Cet article a été écrit en collaboration avec Siem Eikelenboom et Gaby de Groot et publié au journal économique néerlandais Het Financieele Dagblad
Image: Photo credit: Imaginary Museum Projects: News Tableaus / Foter / CC BY

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