Dark Light

Longtemps j’ai pensé vouloir devenir français. Mais, cette année, je me suis rendu compte que ce n’était pas une bonne idée. J’ai décidé de déchoir la France de ma personnalité.

Si le projet de réforme de la Constitution sur la déchéance de la nationalité est adopté, j’hébergerais deux suspects potentiels sous mon toit : des jumeaux binationaux franco-néerlandais. Une précision qui couronne le tout : aucun de leurs quatre grands-parents n’a la même nationalité. Suspects depuis au moins deux générations alors. Que mes futurs potentiels éléments subversifs puissent perdre leur nationalité française ne me dérange point du tout.

Ce qui m’affole, en revanche, dans cette proposition au nom orwellien de Protection de la Nation, c’est la création de deux catégories de citoyens français. D’un côté, les cosmopolites dangereux, de l’autre, les autochtones inoffensifs et soumis. “Mais cette proposition vise les terroristes, pas les binationaux”, a-t-on pu entendre. Peu importe, “c’est une mesure symbolique”, a déjà avoué le Premier ministre. Et c’est justement à ce type de symboles que l’on reconnait les vrais dangers d’un gouvernement.

Je suis moi-même un immigrant, avec, pour des raisons bureaucratiques, un passeport néerlandais, mais avec un esprit résolument post-nationaliste et apatride. Je ne suis pas venu ici pour des raisons économiques ou familiales. Simplement parce que j’aimais Paris. Mon installation fut très simple : un jour, je pris le Thalys (qui, à l’époque, mettait encore 4 heures et 47 minutes pour relier Amsterdam à la capitale), m’installai dans un hôtel miteux avec une seule valise et voilà, j’étais devenu Parisien. A l’époque, l’Union européenne existait encore. Souvenez-vous, ce fabuleux continent où plus d’un demi-milliard de citoyens pouvaient s’installer, travailler, aller et venir comme bon leur semblait. A cette époque, Schengen était synonyme de richesse et de liberté, pas de menace.

Depuis ma plus tendre enfance, je passe régulièrement mes vacances en France. Dans chaque ville que j’ai visitée —petite ou grande—, je lisais sur les monuments l’inscription “Mort pour la France”. Sans saisir la lourdeur de ces mots, je trouvais que cela sonnait chic. Et j’imaginais déjà cette phrase sur ma propre pierre tombale, au cimetière du Père-Lachaise de préférence, et si possible vers la fin du XXIe siècle. Et je me suis dit que pour “mourir pour la France”, il fallait d’abord devenir Français.

Formulaire

Quelques années après mon installation à Paris, je me rendis dans les vétustes locaux de la Préfecture de police sur l’île de la Cité. Je voulais me renseigner sur les formalités pour rejoindre le club des naturalisés qui compte parmi ses membres illustres Alberto Uderzo, Marie Curie, Milan Kundera, David Trezeguet et, depuis 2015, Lassana Bathily. Un fonctionnaire grincheux, évitant mon regard allochtone, me donna le formulaire Cerfa N° 12753*01 ‘Demande d’acquisition de la nationalité française’. Une étape de franchie !

La suivante devait être encore plus facile. Je remplissais déjà nombre de conditions requises qui devaient transformer l’acquisition de la nationalité française en une simple formalité : titulaire d’un Master d’une fac française, résident en France depuis plus de cinq ans… En plus, j’étais natif de Middelbourg, sous Napoléon le chef-lieu du département Bouches-de-l’Escaut, un ancien territoire sur lequel la France a exercé la souveraineté. Cette qualité aurait suffi pour obtenir la nationalité française d’office. Du moins, selon l’article 21-19 5° du Code civil, malheureusement abrogé en 2006. Un ami haut placé et serviteur de la République m’avait même soufflé, dans la meilleure tradition clientéliste, “Si tu veux devenir Français, je peux accélérer les choses”. Autrement dit : obtenir mon passeport français n’était qu’une question de semaines. Je faillis enfin devenir français !

J’ai rempli le formulaire, rassemblé les actes de naissance de mes parents et puis j’ai mis le sésame pour un passeport français dans un tiroir. Ce projet n’avait pas vraiment ma priorité. Car finalement pourquoi échanger une nationalité pour une autre (en devenant français, j’aurais perdu ma nationalité d’origine), si la nationalité m’importe si peu ? Question de cohérence. Entretemps, le droit de la nationalité a été modifié. En 1993, puis en 1998, 2003, et 2006. Et de nouveau en 2011. A chaque fois, les conditions pour acquérir la nationalité française ont été durcies, reflétant ainsi la peur grandissante d’un continent de plus en plus fermé.

National-populisme

Pendant plus de trois décennies, l’amour que je vouais à Paris m’a aveuglé. Ces années-là, je ne me suis jamais posé la question de mon intégration, de ma place dans la société ou de la nationalité de mes amis ou la mienne. Depuis 1999, je vivais plutôt heureux (sans être caché) en France. Jusqu’à ce mois de janvier de 2015. Cette funeste année, j’ai pris conscience du vrai caractère de ce pays.

Les jours qui ont suivi les attaques de ‘Charlie Hebdo’ et de l’‘Hyper Cacher’, je me suis lentement réveillé dans un pays de plus en plus autoritaire, avec une curieuse conception de la liberté. Contrairement à une grande partie de la population, j’estime que chaque action ou réaction du gouvernement qui a suivi ces attaques terroristes du début d’année a été mauvaise. Les politiques français se sont lancés dans une orgie national-populiste que je ne digère pas. Et, avec les attentats du 13-Novembre, la classe politique s’est encore radicalisée. Nous assistons en temps réel au démantèlement de l’état de droit. Jusqu’à atteindre son paroxysme la semaine dernière. Lorsque le Président a annoncé, à travers la bouche de son caudillo de Premier ministre, vouloir introduire la possibilité de déchoir de leur nationalité les binationaux même nés français (quand ceux-ci ont été définitivement condamnés pour terrorisme), il a proposé de facto d’instaurer deux sortes de citoyens. Ce “débat nauséabond et absurde”, comme le décrivit un certain Manuel Valls en 2010, m’a vraiment ouvert les yeux. En cinq ans, même cet immigré catalan a changé de discours.

Ce n’est rien d’autre que du pur cynisme politicien, sur le dos des victimes, et pire : sur le dos des futures victimes. Car cette mesure n’empêchera aucun acte terroriste. La seule réponse possible face au terrorisme est d’augmenter les libertés. La France fait exactement le contraire : en limitant les libertés civiques sous prétexte de protéger ces mêmes libertés, elle devient une menace pour ses citoyens. Vous comprendrez : un pays qui se comporte de la sorte ne mérite pas l’adhésion de l’homme libre que je suis (pour l’instant). La proposition du Président m’a convaincu d’enterrer définitivement mon projet de naturalisation. Mes ambitions d’appartenir un jour à cette nation sont désormais mortes. Pour la France, quand même.

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