Dark Light
Après l’attaque terroriste sur Charlie Hebdo, la liberté de la presse est menacée par un possible dérapage autoritaire du gouvernement. Un piège politique.

En tant que journaliste, en tant que Parisien, mais aussi comme Néerlandais, j’ai été particulièrement affecté par les événements douloureux de la semaine passée. Ils auront un impact sur notre société dans les années, peut-être même dans les décennies à venir.

Le lendemain de la marche digne et impressionnante de dimanche dernier, nous nous sommes réveillés sur un nuage d’unité, qui va s’évaporer rapidement et inéluctablement. Le pays est plus divisé, et le discours politique plus dangereux que jamais.

Van Gogh

J’ai repensé à ce qui s’est passé aux Pays-Bas il y a plus d’une décennie. Deux assassinats cruels avaient traumatisé les Néerlandais : d’abord l’exécution de l’homme politique flamboyant Pim Fortuyn par un écologiste radical. Puis le réalisateur, Theo van Gogh, fin 2004, qui laissa sa vie pour un court métrage sur le Coran. Le pays, pas du tout habitué aux attaques terroristes, perdit son innocence. Depuis, les Néerlandais sont allés très loin dans leurs mesures de sécurité. Avec des dérapages inquiétants. Sous prétexte de ‘sécurité nationale’, il n’est pas rare que certains suspects passent des mois en prison sans aucune forme de procès. Les Pays-Bas sont les champions du monde des écoutes téléphoniques. Le ministère de la Justice a même changé son nom en ‘Sécurité et Justice’. Après ce changement sémantique orwellien, la ‘sécurité’ prime désormais sur la Justice.

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Piège

La France s’est engagée sur la même pente dangereuse. Comme il y a un ‘avant et après’ Fortuyn/Van Gogh aux Pays-Bas, il y aura un avant-après Charlie Hebdo en France.

Aujourd’hui, la sécurité est devenue un objectif en soi, une excuse pour des mesures liberticides et pour montrer la détermination de l’exécutif ‘à en finir avec les menaces’. Autoritaires, précipitées, les réponses sont données sans une vraie réflexion de fond. Montrer ses muscles n’équivaut pas à une stratégie cohérente et intelligente dans la lutte contre le terrorisme. Comme l’a dit Robert Badinter si justement cette semaine : « Les terroristes nous tendent un piège politique ».

Liberté relative

Depuis longtemps, ce pays, qui se vante à tort d’être le berceau des droits de l’homme, a une conception curieuse de la liberté. Les médias du monde entier ont pointé cette semaine l’ironie (ou le cynisme) de la garde à vue d’un certain ‘comique’ au même moment où des millions défendent la liberté d’expression. En effet, la France n’a pas très bonne réputation quant à la liberté de la presse. Dans le Classement mondial 2014 de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, la France a encore perdu deux places et se retrouve maintenant en 39e position (la Finlande occupant la première place, juste devant les Pays-Bas). Régulièrement, la France écope de condamnations par la CEDH, la Cour européenne des droits de l’homme, pour entrave à la liberté d’expression. Elle ne rechigne pas à interdire a priori la prise de parole de certains individus et le pouvoir exécutif à mettre les médias ou des journalistes indépendants sur écoute, en dehors de tout cadre légal.

Cette semaine, nous étions peut-être tous Charlie. Mais qui voulons-nous être demain ? Nous, citoyens, devons rester très vigilants et contrôler de près minutieusement chaque proposition de loi, chaque dérapage autoritaire du gouvernement. Si nous le faisons pas, autant effacer directement le premier mot du slogan de la République : Liberté !

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