Le même jour où Le Monde titra “La lecture des quotidiens a reculée en 2009”, France-Soir lança sa nouvelle formule. A première vue, ces deux évènements ne sont pas liés. Et pourtant.
Les quotidiens nationaux français ont un public négligeable pour le nombre d’habitants du pays. Le tirage de 438.000 exemplaires (du mardi 23 mars dernier, selon Le Monde lui-même) ou de 320.000 (tirage moyen du Figaro) est peu, comparé au tirages des journaux dans les pays voisins avec beaucoup moins d’habitants. Prenons par exemple Algemeen Dagblad (Pays-Bas, 413.000, 17 million d’habitants) ou Het Laatste Nieuws (Belgique, 350.000 ex., 6 million d’habitants néerlandophones). Alors pourquoi les Français lisent-ils si peu les quotidiens?
Contrairement à ce que les rédactions veulent faire croire, ce n’est ni « la Crise », ni le web qui est à la cause du mal du papier. La véritable raison du déclin est probablement le fait que les journaux français ignorent collectivement et sans complexe le XXIe siècle, attitude incarnée par la nouvelle formule de France-Soir. La relance de cette marque d’antan, est à elle toute seule un compte-rendu peu subtil de toutes les raisons pour lesquelles la presse quotidienne française souffre. Le journal est démodé, moche, peu pertinent, proche du pouvoir et surtout ennuyeux.
Connivence
Certes, il y a d’autres raisons. Contrairement à presque tous les pays européens, la presse nationale est ici quasi absente en dehors de la capitale. Le système de distribution est cher et archaïque. Il y a aussi un manque d’audace graphique et photographique dans ses pages. Mais la raison principale est quand-même l’idée ce que doit être un journal. Pour vous donner une impression: le 17 mars, jour de la nouvelle formule, France-Soir réserve sa Une à ce bon vieux Chirac, l’ex président figure également page 2. Ensuite, c’est Sarkozy (2 fois même), puis Accoyer, Douillet et Chatel. Le lendemain: rebelote! Sarko, Fillon, et Lagarde (mais aussi Bayrou) ont tous droit à leur photographie en couleur. La raison de ce dévouement au gouvernement ? France-Soir nous en donne la clé page 3. On y apprend alors que Christiane Vulvert, directrice générale de France-Soir, est devenue chevalier de la Légion d’honneur. Elle a reçu les insignes des mains propres du chef de l’Etat. Une réactivité remarquable du service Cire-Pompes du 55 rue Faubourg Saint-Honoré. En même temps, on ne pourra pas trop en vouloir à France-Soir pour cette connivence. Même les meilleurs de la famille médiatique se rendent de temps en temps coupable de ce péché résolument français (Tu quoque, Joffrin).
Le reste du journal montre d’ailleurs peu d’originalité: les courses, la météo en couleur et la grille télé. Mais qui est donc ce vieux monsieur qui nous jette un regard paternel sur la page 3. Ah, c’est Gilles de Prévaux, le directeur de la rédaction. France-Soir se veut “moderne, élégant”, écrit-il. Moderne? Vraiment? Le graphisme respire les années 1980, la ligne éditoriale les années Pompidou, le logo celui du lendemain de la Libération.
Pourtant, malgré le pessimisme, lancer un nouveau journal payant et séduire un nouveau public est possible. L’exercice a été accompli avec brio aux Pays-Bas, où le quotidien du soir de référencé, NRC Handelsblad, a lancé sa déclinaison matinale NRC Next en 2006. Destiné à un public plus jeune, notamment aux étudiants, ce journal est une version light, moderne, attractive du grand frère, le journal est tiré aujourd’hui à 100.000 exemplaires. Le succès n’est pas passé inaperçu en France, au point que Le Monde songerait actuellement à copier cette formule originale.
En soit il est louable qu’un jeune entrepreneur Alexandre Pougatchev, investisse 30 millions d’euros dans un journal papier (plus 20 millions pour une campagne de com lamentable), quelles que soient les véritables raisons (francophiles? politiques? philanthropes?) de son investissement. Qu’il ait renoncé à se lancer dans un journal moderne, originale et indépendant est une occasion manquée pour toute la presse quotidienne française et avant tout pour ses (potentiels) lecteurs.
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