Une décennie après le « non » à la Constitution européenne, les Pays-Bas battent à nouveau en brèche les ambitions de l’UE. Demain, le 6 avril, les Néerlandais sont invités à se rendre aux urnes pour donner leur avis sur un accord de libre-échange avec l’Ukraine. Sur les bulletins, le choix sera simple : pour ou contre. Selon le dernier sondage d’aujourd’hui, le ‘contre’ gagnera avec 55 pour-cent des voix. Un autre sondage donne le non aussi gagnant, avec 37% des voix et 30% pour le ‘oui’ (33% des électeurs ne savent pas encore ce qu’ils voteront demain). Un résultat qui pourra paralyser l’Union dans les années à venir…
Les Pays-Bas n’ont pas une longue tradition référendaire. C’est le 1er juillet 2015 que le gouvernement du royaume a accordé aux citoyens le droit d’initiative en matière de référendum consultatif. Par cette nouvelle loi, les citoyens pourront proposer un référendum a posteriori sur chaque loi votée, à l’exception des textes concernant la maison royale, le budget, ou encore la Constitution. Pour la tenue d’une telle consultation, seulement 300 000 signatures sont nécessaires. Comme le pays compte 17 millions d’habitants, il s’agit de seulement 1,7 % de la population. Le seul référendum jamais organisé, celui de 2005 sur la Constitution européenne, n’avait pas de statut légal pérenne. Le scrutin d’avril prochain est donc une première.
Que diable vient faire l’Ukraine dans un référendum national ? Le collectif GeenPeil (« Pas de sondage » ou « Sans niveau » en français) a directement saisi cette nouvelle possibilité démocratique. GeenPeil rassemble deux laboratoires d’idées eurosceptiques ainsi que le polémique et très influent site GeenStijl. Leur objectif ? L’annulation de la loi ratifiant l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne. Un sujet bien technique, qui a pourtant rapidement mobilisé une partie de l’électorat. En six semaines seulement, le collectif a recueilli 427 000 signatures valables, largement assez pour que le conseil électoral approuve la tenue du référendum. Pour autant, ce collectif ne vise pas l’Ukraine directement. Il s’agit d’une question de principe : selon les organisateurs, l’UE manque cruellement de démocratie. Un référendum sur ce traité augmenterait l’influence du public sur les affaires européennes.
Élargissement
Le porte-parole de l’initiative, le journaliste de télévision Jan Roos, explique que l’accord représente un premier pas vers une véritable adhésion. Et selon lui, chaque nouvel élargissement de l’UE dans l’avenir doit être exclu. La facilité avec laquelle GeenPeil a pu recueillir les signatures laisse penser que les Néerlandais s’intéressent de près à cet accord. Rien n’est moins vrai. Le référendum est surtout utilisé comme bras d’honneur adressé au gouvernement actuel et surtout à Bruxelles, qui n’est, aux yeux de beaucoup de Néerlandais, qu’une grande machine antidémocratique. Les dernières semaines, la campagne a pris un autre ton, et le référendum de demain est devenu un référendum sur l’Europe, le Traité n’étant plus qu’un prétexte.
Le référendum ne sera valable que si au moins 30 % des électeurs se déplacent aux urnes. Selon les derniers sondages, ce quorum sera atteint. Comme le résultat n’aura aucune obligation légale, il peut être considéré comme un simple sondage. Néanmoins, une majorité du parlement néerlandais s’est déjà exprimée en faveur du respect du résultat, positif ou négatif. En revanche, si la participation est forte, Bruxelles ne pourra pas l’ignorer.
Casse-tête
Quelle que soit l’issue, avec ce nouveau casse-tête pour les institutions européennes, les eurosceptiques ont déjà un peu gagné. Et comme ce premier référendum a été facile à organiser, il est très probable que d’autres suivront très bientôt. Cette initiative est donc aussi un test politique. Le site GeenStijl.nl jouit d’une grande popularité aux Pays-Bas, notamment auprès des jeunes. Il appartient au plus grand quotidien du pays. Plusieurs médias, privés et publics, soutiennent également l’initiative. Ce succès médiatique effraye un peu les députés. Comme tous les dirigeants démocratiques, le gouvernement néerlandais voit d’un mauvais œil l’implication des citoyens dans la politique. Pendant la collecte des signatures, des politiques ont même essayé de ridiculiser GeenPeil. En vain.
Aujourd’hui, le gouvernement essaie de limiter la casse. Le Premier ministre, Mark Rutte, bien qu’il soit pour cet accord, a déjà fait savoir qu’il ne ferait pas campagne pour le oui. Le gouvernement attendra le résultat et « réévaluera » sa position après le référendum. Si la majorité de l’électorat vote « non », le Premier ministre pourra en effet retirer sa signature du traité, mais rien ne l’y oblige. En réalité, le gouvernement de coalition libérale-travailliste est très gêné par l’initiative.
45 millions de consommateurs
« Ce référendum n’arrêtera pas l’accord d’association », a précisé le président ukrainien Petro Porochenko lors d’une visite à La Haye fin novembre 2015. Mais ce n’est pas si sûr. Le moment choisi n’aurait pu être pire. En effet, au premier semestre 2016, quand le référendum aura lieu, les Pays-Bas présideront l’UE. GeenPeil se trompe-t-il de cible ? Ce traité ne concerne que le commerce, font savoir ses défenseurs, et pas du tout l’adhésion éventuelle de l’Ukraine à l’UE : « C’est un marché de 45 millions de consommateurs qui s’ouvre à nous. Qui peut être contre ça ? »
Un argument sensible aux oreilles des Néerlandais qui sont, après l’Allemagne, le plus grand exportateur de l’UE. De plus, « l’Union a déjà des traités d’association avec un grand nombre de pays, comme le Liban, Israël et des pays latino-américains. Et tous ces pays n’ont absolument pas vocation à adhérer à l’Union », explique Mark Rutte.
Russophiles
Le comité GeenPeil essuie de nombreuses critiques. Dans plusieurs médias néerlandais, les membres de GeenPeil ont été traités « d’ignorants », « d’imbéciles » ou pire, de « russophiles ». Car Moscou voit ce référendum néerlandais d’un bon œil. Depuis l’invasion de la Crimée, les relations entre l’Union et la Russie sont très tendues. Entre les Pays-Bas et la Russie, la situation est encore plus complexe : les Néerlandais suspectent les Russes d’avoir lancé le missile BUK qui a abattu le vol MH17 au-dessus de l’Ukraine en juillet 2014, crash où 298 passagers trouvèrent la mort, dont 198 Néerlandais.
Les Russes sont accusés de ne pas vouloir collaborer à l’enquête internationale afin de trouver les coupables de ce drame. En effet, si les Néerlandais votent contre l’accord en avril, ça serait une victoire pour Vladimir Poutine, le président russe, a-t-on pu lire. Le collectif suivrait la logique de Poutine, qui accuse l’Otan et l’UE de vouloir « encapsuler » l’Ukraine dans leurs organisations.
Instabilité
Les organisateurs du référendum font fi de ces accusations. Ce ne sont pas des Russes qu’il faut se méfier, selon GeenPeil, mais plutôt du gouvernement néerlandais. Au mois de décembre, ils ont adressé une lettre à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) dans laquelle ils accusent les partis du gouvernement de vouloir « saboter » le référendum. GeenPeil demanda « urgemment » de déployer des observateurs électoraux de l’OSCE lors du référendum en avril. Il n’y aurait pas assez de bureaux de vote et, selon GeenPeil, certains partis se sont exprimés contre la tenue de la consultation. Bien que ce référendum soit purement consultatif, plusieurs partis politiques, dont le PvdA (travailliste), le parti au pouvoir, envisagent déjà d’aller un peu plus loin, avec un projet de loi autorisant le référendum correctif. Dans ce cas, La Haye sera tenu de se conformer à la voix de son peuple. Le premier référendum néerlandais de demain ne sera finalement que le prologue d’une très longue période d’instabilité politique en Europe.
Une version antérieure de cet article a été publiée par La Cité (Suisse) et Mediapart (France)