Pour une fois, la quasi-totalité des journalistes européens est d’accord sur une chose : cette campagne présidentielle porte une très faible exigence intellectuelle. Les noms des finalistes sont déjà connus a priori. Il y a celui martelant qu’il est « normal », il y a celui répétant à tire-larigot « avoir changé ». Outre leur longue présence dans la politique française — une éternité vue de l’étranger ! —, les deux hommes ont comme point commun de n’avoir aucune proposition concrète pour la société de demain. Ils pourraient proposer aux Français une vision audacieuse. Non, ils leur font peur. On doit avoir peur de la gauche au pouvoir, avoir peur de la droite restant au pouvoir. On doit avoir peur de l’étranger, du voisin, de l’avenir. On doit avoir peur de la vie, en somme.
Mes confrères et moi sommes abasourdis par le fait que les véritables enjeux de l’avenir ne soient pas ceux des candidats à la fonction suprême. Des thèmes ô combien importants comme ceux de l’emploi, l’environnement, l’Europe, l’éducation, le logement et la révolution numérique sont occultés par une succession d’attaques personnelles et autres non-sujets. Parfois il y a des annonces de ‘mesurettes’, sortes de ballons d’essais. Ces mesurettes surgissent soudainement de la bouche du candidat comme s’il venait de l’inventer. Et tel un diable sortant de sa boite, de surprendre tout le monde, y compris l’équipe de campagne dudit candidat.
Tout le discours politique ambiant est du niveau des jérémiades de maternelle : « c’est la faute de la gauche », « non, c’est celle de la droite »… On est déjà dans la deuxième décennie du XXIe siècle et le débat reste le même qu’au XIXe siècle. Pendant ce temps-là, chômage et dette creusent leur sillon.
Le pouvoir sortant n’arrête pas d’insister sur le fait que la France a « quand-même été relativement épargnée par la crise en comparaison avec les pays européens ». Cette thèse est grotesque. Certes, la France n’est pas la plus mal lotie, comparée à des pays comme la Grèce, l’Espagne ou le Portugal mais pendant que la majorité des pays européens a entrepris des reformes structurelles, en Hexagone tout reste comme c’était avant. L’actuel gouvernement omet par ailleurs de dire que la France sera encore une fois relativement épargnée par la reprise quand elle fera jour dans le reste de l’Europe. Un candidat osant dire cela creuserait sa propre tombe.
Têtes vides
L’Europe ? « Elle doit nous protéger, mais elle doit être française ! » L’environnement ? « Non merci, j’ai des amis chez EDF et Areva. » Le numérique ? « Mon équipe s’occupe de mon compte Twitter, c’est déjà pas mal. » Et cetera. Habilement, les candidats esquivent le fond du sujet. Heureusement pour eux, les médias français font à peine mieux leur travail. Les questions critiques sont rares. Le fact checking pas assez présent. Il y aurait matière, comme par exemple, toutes les paroles professées en direct par les candidats lors des ennuyeuses émissions politiques telles Paroles de Candidat ou Des Paroles et des actes. « Les caisses sont vides », disait l’autre. Les journalistes européens rajouteront : « Ainsi que les têtes des politiques français. » Pauvre pays.
Tribune publiée dans La Croix, 6 avril 2012