“Christine LAGARDE note avec satisfaction la baisse du nombre de demandeurs d’emploi en mars 2010 (-6.600) http://bit.ly/dg1s41” tweete Christine Lagarde, la coqueluche des ministres pécuniaires internationaux, hier soir. Enfin une bonne nouvelle pour la France? Serait le bout du tunnel en vue ? Regardons ces chiffres de plus près.
Petite clarification des définitions: Les chômeurs inscrit au Pôle emploi sont repartis en cinq catégories. La catégorie A est celle qui sont sans emploi aucun, autrement dit « la crème de la crème » du chômage. Les personnes des catégories B et C exercent une activité réduite (c’est-à-dire une activité plus ou moins 78 heures/mois). Les cas D sont des gens sans emploi, mais pas disponibles (les malades, les femmes enceintes, les bohémiens) et puis la catégorie E rassemble les inscrits qui travaillent actuellement à plein temps.
Au mois de mars, la catégorie A a vu le nombre d’inscrits diminuer de 6600 personnes (ou 0,2%). C’est ce chiffre là qui est la raison de l’auto-félicitation de Madame la Ministre (et de son Secrétaire d’Etat Laurent Wauquiez). Sauf qu’elle ne le précise pas. Elle aurait dû. Car dans les autres catégories, le nombre d’inscrits a augmenté, ainsi que le total des inscrits : en mars, 3.891.000 personnes inscrites en France Métropolitaine, contre 3.872.000 en février, ou 18.1000 âmes errantes de plus, une augmentation de 0,5% sur un mois, et même 12,3% sur un an. Lagarde et Wauquiez n’ont peut-être pas menti, mais ils n’ont certainement pas dit la vérité.
Flexibilité
Cette ‘liberté de vérité’ est devenue monnaie courante dans la crise actuelle. « La France a plutôt mieux résisté que les autres pays » est devenu le mantra du gouvernement Fillon II. Ceci est peut-être partiellement vrai lorsque l’on regarde le très court terme, et même dans ce cas on peut le relativiser: l’an passé le chômage en France, selon les critères d’Eurostat, a augmenté de 9% pour atteindre 10.1%. Dans la même période, celui de l’Allemagne a légèrement baissé pour arriver à 7,5%. Aux Pays-Bas l’augmentation a été de 25%, mais le chômage y reste le plus bas de l’UE, à 4%. De surcroît, Le gouvernement oublie sciemment de mentionner que si la crise était relativement clémente pour la France, la reprise le sera aussi. En effet, la France ne profitera pas d’une relance économique comme les pays voisins, tout simplement parce que la société n’est pas aussi flexible que les ministres le sont avec les chiffres. Un ‘Plan de Rebond’ (jolie pirouette sémantique) ou le soutien des chômeurs en fin de droit n’arrangeront rien. Le chômage de la France oscille depuis trois décennies déjà autour de 8%, souvent au-dessus, très rarement en dessous.
La seule manière de sortir de cette crise, qui pour la France n’a pas commencé en août 2007, comme pour les autres pays, mais bien trente ans avant, est la création d’emploi. Les dirigeants français le savent, mais la gauche et la droite ont harmonieusement refusé de mettre en oeuvre cet objectif. Pour créer de l’emploi, il faudra une société dynamique, et donc s’éloigner de la morosité qui domine depuis trente ans la France, ses citoyens peureux et son gouvernement peu audacieux.
Il est regrettable que la Ministre et le Secretaire d’Etat interprètent les chiffres avec une certaine élasticité. Ils ont sans doute lu l’excellent livre de Joel Best, Damned Lies and Statistics. Pendant ce temps, le pays souffre et ne voit toujours pas le bout du tunnel, malgré les tweets jubilatoires des locataires du paquebot dans la rue de Bercy.
© photo: St. Gallen Symposium / CC BY-NC-SA 2.0